• Extrait du livre "Magie noire pour nuit blanche à Braine le Comte"

    Vendredi 25 octobre, le soleil avait une teinte unique en cette période automnale. Une couleur mordorée qui rendait tout paysage paré des plus belles carnations. L’air était frais, non froid. L’hiver, le sommeil de la nature s’approchait mais, à la manière du dernier rayon de soleil à l’horizon, ce moment brillait par sa magie. Un dernier souffle de notre Terre, dernier feu d’artifice, pour illuminer les cœurs de tous, avant le repos de celle-ci.

                    Braine-le-Comte, Hainaut, entre Mons et Bruxelles. Rue de Mons, les voitures se succédaient les unes aux autres, dans les deux sens, comme une fourmilière en pleine activité. C’était l’heure de la sortie, … mais oui, mais oui, l’école est finie… Athénée Jules Bordet, une foule d’étudiants émergeait des classes afin de rentrer vers leur domicile.

                    C’est dans cette masse que trois écolières s’apprêtaient à traverser sur le passage piéton. Elles semblaient euphoriques, certainement parce que l’on était vendredi après-midi, début du week-end, et qui plus est, début des vacances d’automne. Une semaine de congé, avec apothéose de celle-ci, la fête d’Halloween.

    Extrait du livre "Magie noire pour nuit blanche à Braine le Comte"

    -          « J’arrive pas à croire qu’il m’ait regarder moi, wesh », disait celle qui se trouvait au centre du trio, tout en réajustant son écharpe. « Ces yeux me font craquer et ce cul dans son jeans moulé, grave j’en peu plus, tu crois que j’ai une chance, Luna ? » Elle réajustait ses fins et longs cheveux noires avec un chouchou de même couleur qu’elle retira de son poignet.

    -          « Timp, Agathe, laisse ce gros connard de Max. Y pense qu’à pecho des meufs et de fourrer son dard, pi y t’largue et y balance la sexto sur insta, t’es ouf où tu veux te destroy la vie tout de suite. On est pas bien là à trois mmmh ? ».

    Luna était du genre remontée sur ressort, pas très grande, maigre et sa peau noire, ses grands yeux bruns et ses cheveux frisés mi-longs, exacerbait encore ce côté nerveux.

    Agathe, Luna et Meredith se regardèrent toutes trois dans un silence qui en disait long sur le degré d’amitié qu’elles avaient l’une pour l’autre. Puis elles traversèrent le passage clouté dans un grand éclat de rire. Elles avaient l’habitude de partir dans des délires l’une l’autre, jusqu’au point de non-retour où elles n’hésitaient pas à se moquer d’elles-mêmes.

    Luna Diallo connaissait ses deux meilleures amies depuis la première secondaire et elles étaient soudées comme les doigts de la main. Braine-le-Comte, une ville vivante où la famille Diallo était venue s’installer pour se décentrer un peu de Bruxelles où Blaise, le papa, exerçait comme anesthésiste à l’hôpital Erasme. Rose Sylla, la maman, avait ouvert son cabinet de psychologie dans une rue perpendiculaire à leur appartement. De ce fait c’était une joie pour elle, de pouvoir se rendre à pieds à son travail. De plus, elle avait pratiquement vue sur la cour de l’école.

    Les trois étudiantes se raccompagnaient l’une l’autre et formaient aux yeux du peuple, l’image du groupe des foldingues. Tellement accrochées l’une à l’autre, que le clan des caïds de Max, les surnommait « les lesbiennes ». Même si c’était l’orientation de Luna, leur surnom n’était pas lié à cela, mais du fait de leur bande à part qui ne se liait avec personnes d’autres.

    -          « Le lycée St Gab les filles », leur dit Meredith tout en réajustant ses lunettes cerclées à bord rouge, « zêtes prêtes ? »

    -          « Pfff y m’énervent ces gars, marre de les voir, quel stress, en plus sont même pas du lycée, juste à traîner et à chercher la bagarre ». Agathe avait dit cela en dressant les deux poings et en faisant la moue avec sa bouche. Son rouge à lèvre bleu foncé et sa tunique noire lui donnait un air furieux. Elle était grande et bien portante avec de beaux yeux bridés de couleurs verts argentés.

    Extrait du livre "Magie noire pour nuit blanche à Braine le Comte"

    -          Luna tendit ses chaussures rouges en avant en disant : « Le gang des chaussures de sécurité ne se fera pas écraser ahahah, et on a notre arme hein, les filles ? »

    -          Ouaip fit Agathe en tapant ses chaussures noires au sol, on a le F.U.C. pour contrer ses connards et les bitches, non ?

    -          Les trois ensembles en lançant leur bras en l’air et en faisant les cornes : « Yeah, F.U.C. !!! On a le F., la folie, on a le U, notre unité et le C., le cul, ahaha, FUC yeah, FUC yeah… mais girls only, les mecs on leur jette un sort et hop… enfin à notre botte !!! FUC yeah ! » Et 6 chaussures de sécurités, noires, rouges et bleues s’entrechoquent dans de grands cris de joie… interrompus tout à coup par une voie féminine monocorde et sans émotion :

    -          Vous croyez pas si bien dire les lesb… euh les filles. Moi c’est Neve. Oui, ok je suis la nouvelle, je débarque. J’habite rue de la paix, je peux vous accompagner ? Vous vous y connaissez en sortilèges et magie noire ? Parce que moi c’est mon trip alors, vous savez où sonnez si vous avez besoin »

    Neve avait dit ses paroles tout en gardant la tête baissée et regardant droit devant elle, comme si elle parlait à elle-même. Elle a les cheveux mi-longs, noires avec des reflets bleutés. Son look plaisait déjà à Meredith et son air garçon manqué avec son polo cintré orange et son jeans délavé et déchiré sur 30 cm à hauteur des genoux faisait battre le cœur de Luna. Quant à Agathe, elle voyait plutôt d’un bon œil que vienne se rajouter une D’Artagnan à leur groupe de mousquetaires.

    Extrait du livre "Magie noire pour nuit blanche à Braine le Comte"

    Il y eut quelques regards croisés, quelques feuilles roussies et croquantes balayées par le vent, une sorte de mini suspension du temps, un léger flottement où tant de choses se passent dans le « non verbal », comme si des discours télépathiques avaient lieu, puis avec un oui unanime elles se levèrent toutes les quatre et marchèrent d’un pas décidé vers un groupe de garçons qui faisaient le coin du lycée. Ils devaient être une petite dizaine.  Trois étaient occupés à se bagarrer, entre tirage de cheveux et combat de jeunes coqs. Les autres avaient des poses plutôt désinvoltes, nonchalantes et quelques filles rigolaient à certaines de leur pantalonnade bien grassouillette. Il n’y avait là aucun respect du sexe et tant les mecs que les gonzesses se prenaient des coups et des paroles blessantes, sans distinction.

    Mais ce qu’il se passa fut totalement hors catégorie. Tel un ouragan de force cinq, Neve en tête, les mousquetaires traversèrent le groupe en les bousculant, renversant sacs et canettes, sans se retourner. Ils n’eurent pas le temps de réagir, tellement ils furent surpris. Mais Neve sembla vouloir en rajouter une couche car, elle pivota sur elle-même et, regardant droit dans les yeux celui qui semblait être l’élément directeur du groupe, cria :

    -          PNAT VLERM JISC DUB ZOD ! Et elle fit dans l’air, avec sa main gauche, un large cercle complet, puis une forte poussée en avant de ses mains.

    Il y eut une forte bourrasque de vent soulevant des tas de feuilles mortes puis, à la manière d’un être invisible déchainé, l’étudiant fut soulevé dans les airs et il fit une envolée de six mètres plus loin, chutant lourdement et avec fracas sur le dos. Il se releva et s’assit difficilement tout en regardant ahuri, Neve, qui lui lança un sourire en coin et tourna les talons, suivie des trois autres filles.

    Les girls étaient partagées entre euphories et peur, quand l’adrénaline les portait encore et leur donnait une énergie incroyable, comme si elles étaient devenues en présence de la nouvelle, invincibles !

    -          « Tu peux m’dire comment t’as fait là ? J’réalise toujours pas, suis sur le cul, un truc de ouf ! » C’était Luna qui parlait. « T’as des p’tains  de pouvoir sans dec’ c’est chéman ! »

    -          « C’est la magie noire ça les filles… » fit Neve, « vous inquiétez pas, on formera bientôt un cercle, et personne pourra plus rien contre nous hihihi. »

    -          « Bon ben moi j’ai hâte que tu m’en dises un peu plus ! Qu’est-ce tu proposes parce que je suis arrivée chez moi, rue d’Italie, c’est là, l’appart à gauche au deuxième étage », Luna avait appuyé ses mots pour montrer son impatience d’en savoir plus.

    -          « Pourquoi on se retrouverait pas à la sandwicherie habituelle de la rue de la station, le Croque mitaine, demain pour manger toutes ensemble ? C’est samedi, alors week-end et belle vie ! », proposa une Meredith enjouée.

    Meredith Brennan était grande avec des cheveux courts roux et de yeux verts, des lunettes cerclées rouges.

    -          « Moi suis partante aussi », fit Agathe.

    -          « OK les girls, à 12h tapante on se retrouve là-bas. Allez, salut belle Luna, profite de cette nuit pour te rapprocher du pouvoir mystérieux de la lune, ahahah. Allez, on move, cria Neve après avoir déposé un baiser sur les lèvres de la jeune Diallo. »

    Luna, surprise, resta quelques instants figés, avant de reprendre ses esprits et d’observer le visage renfrogné de Meredith. Puis, sans autre mot, elle couru vers la porte d’entrée.

    Le groupe prit ensuite sur leur gauche, remontant la rue du 11 novembre, laissant à tribord le grand parking fort usité par ceux qui partent par le chemin de fer sur la capitale. Ils laissèrent au croisement avec la rue des cerisiers, Agathe, qui habitait au numéro dix-sept de cette même rue.

    Il ne restait plus que Neve et Meredith ensemble. Neve décida de rompre le silence en lançant directement :

    -          « Allez hop, temps mort hein, ne me fusilles plus du regard et t’inquiètes je vais pas te la piquer Luna, le baiser c’était juste pour m’amuser et un acte de tendresse… »

    -          « Quoi, mais, euh, non, mais je ne suis pas… »

    -          « Hé perd pas les pédales la dingo et réveille-toi un peu, vous êtes faites l’une pour l’autre… »

    Meredith devint pourpre de colère :

    -          « C’est pas ça le blème ok, c’est que tu viens mettre tes pieds dans le plat, alors que tu ne nous connais pas. Tu veux la jouer direct, alors je serais direct aussi : Je ne t’aime pas avec tes airs de mademoiselle je suis la sorcière qui peut tous vous tuer ou vous sauver si je veux. Tu m’fais pas peur et ton numéro m’énerve. Alors, sois sur tes gardes car j’t’ai à l’œil. Luna et Agathe compte à mes yeux comme mes sœurs et si tu viens cramer un seul poil qui nous lie ensemble je te défonce, magie ou pas, tu m’as bien comprise ? Ton balai de sorcière tu peux te le fourrer ou je pense et aller avec jusqu’à l’autre bout de la terre. Tu te tiens à carreau.

    -          Oh là relax la petite chatte, je t’ai pas agressée hein ! Votre groupe me plaît bien et si je l’ai joué un peu perso c’est qu’en tant que nouvelle c’est pas toujours facile de s’imposer et de faire partie d’un groupe. Le vôtre à l’air vrai et je m’y reconnaissais dans vos idées et façon d’être. Sorry si j’ai forcé la dose. Mais please, laisse-moi ma chance hein ? »

    -          « Vas-y frangine, personne n’entube personne alors, on repart à zéro, mais vas-y molo, car dans ce ghetto nul ne doit jouer aux crocos en tremolo dans des quiproquos pas à propos et beaucoup trop tôt… » Meredith était partie dans un slam qui se termina en fou rire pour toutes les deux.

    Extrait du livre "Magie noire pour nuit blanche à Braine le Comte"

    Elles continuèrent à parler de tout et de rien, passant devant la gare de la ville, qui est un joyau belge et européen au niveau architectural, car la plus ancienne gare belge et d’Europe toujours en activité. Ce bâtiment a été inauguré le 31 octobre 1841, autant dire qu’à chaque fête d’Halloween c’est son anniversaire. Etrange n’est-ce pas ?

    Passé les deux ronds-points elles empruntèrent la rue de la station.

    -          J’habite ici rue de la Paix et toi, fit Neve ?

    -          Ben on est quasi-voisine moi je suis au 83 sous les combles, dans la rue de la station. C’est fou cela !

    -          Allez j’te laisse, on se voit demain à la sandwicherie toutes ensemble yes ! Salut Meredith.

    -          Bye Neve à demain.

    Et Meredith de continuer jusqu’à cette ancienne maison de maître où elle habite avec sa mère tout le dernier étage. Elle sort son trousseau de clé pour entrer par cette immense double porte verte. Ouverture de la porte… Comme une chape de plomb qui s’abat sur ses épaules… Là, pas d’ascenseur mais un large escalier avec une superbe rampe en bois. 3ème étage, courage. Y a des jours où il est plus facile que d’autres de les monter. Boîte n°6, une porte blanc cassé. Mais avant de ressortir son trousseau pour rentrer, la jeune fille remarque qu’il y a déjà des clés sur la porte. Elle les prend et rentre dans l’appart. Directement elle y découvre sa maman endormie sur le canapé ikea avec un plaid sur elle et à côté par terre, une paire d’escarpin usé et une bouteille de Jack Daniels au ¾ vide.

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